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Entretien avec Aurore Sohier, Présidente de l'association le Regard au Bout des Doigts.

"Notre accompagnement permet de lever beaucoup de barrières au stade".

HandiCaPZéro : Pouvez-vous nous présenter l'association "Le regard au bout des doigts" ?

Aurore : C'est une association qui existe depuis 20 ans pour venir en aide aux personnes aveugles et malvoyantes. L'association propose un accompagnement quotidien via des activités sportives, de loisirs et culturelles. Elle participe également à la sensibilisation des jeunes et des entreprises au handicap et réalise des actions d'inclusion avec la municipalité pour l'accessibilité dans les transports ou de la voirie. Enfin, nous organisons des activités culturelles et sportives notamment via la mise en place de l'audiodescription dans la cathédrale de Reims, mais également lors des matchs de football.

HandiCaPZéro : Comment se passe une semaine type au sein de l'association ?

Aurore : L'association dispose d'un local où des permanences sont organisées tous les mercredis. Les adhérents peuvent y venir se détendre, échanger avec d'autres personnes, faire des rencontres avec des personnes qui ont le même handicap ou non. Des activités sont également organisées toutes les semaines telles que l'origami, le Monopoly version braille ou encore la randonnée. Il existe un planning que les adhérents peuvent consulter pour s'inscrire aux activités qu'ils souhaitent.

HandiCaPZéro : Rencontrez-vous des difficultés dans la mise en place de vos accompagnements ?

Aurore : Oui, les transports par exemple ! Pour aller faire une balade dans la montagne de Reims qui est à quelques kilomètres, il y a peu de transports en commun, la difficulté est alors de trouver des bénévoles pour encadrer les activités. Idem pour aller au cinéma, il y a environ 45 minutes de bus et une fréquence de passage très faible. Cela démotive parfois les adhérents, alors pour y remédier, on essaye de faire du co-voiturage ou bien d'aller au restaurant après l'activité pour les motiver.

HandiCaPZéro : Combien de personnes accompagnez-vous au sein de l'association ?

Aurore : On accompagne 60 personnes de tout âge, notre adhérent le plus jeune à 14 ans par exemple, les profils sont très variés. La moyenne d'âge tourne autour de 50 ans car le plus souvent les problèmes de vue viennent avec l'âge. Mais nous avons aussi des personnes aveugles de naissance.

HandiCaPZéro : Comment avez-vous été amenés à proposer des activités sportives ?

Aurore : Lorsqu'on a commencé à mettre en place les activités, on s'est rendu compte que les adhérents voulaient s'évader du quotidien et sortir de Reims, notamment en pratiquant la randonnée en forêt. Puis, à force de toujours pratiquer les mêmes activités, les adhérents ont eu envie de pratiquer d'autres sports, comme le tir à l'arc, l'escalade, le canoë, le showdown ou le torball. Pour remédier à cela, nous avons créé un club handisport (multi-support). Nous pratiquons tous les mois un sport différent. Nous avons une quinzaine de licenciés dans le club handisport depuis 2 ans, cela permet de découvrir une pratique. Ensuite, libre à eux par la suite de venir s'inscrire dans le club pour l'année.

HandiCaPZéro : Comment est née la collaboration avec le Stade de Reims ?

Aurore : En 2019, la ville de Reims a accueilli la Coupe du Monde féminine organisée par la FIFA, qui a mis en place un système d'audiodescription. Nous avons trouvé cela génial et nous avons décidé de poursuivre l'opération. Deux audios-descripteurs ont été formés par la FIFA et ont décidé de se lancer et d'audio décrire tous les matchs à domicile. Mon rôle a été de trouver des utilisateurs au sein de l'association et de faire de la médiation entre le club, la ville et les audio-descripteurs mais aussi négocier les tarifs afin de les harmoniser entre les différents types de handicaps. Il a aussi fallu fédérer les troupes dans le milieu associatif, réussir à les emmener au stade et leur faire comprendre que cela va au-delà du sport. Le rôle de l'association est très important car notre accompagnement permet de lever beaucoup de barrières au stade.

HandiCaPZéro : Pouvez-vous nous présenter l'audiodescription ?

Aurore : Deux personnes commentent en direct les actions qui se passent sur le terrain, divisé en 4 zones. Pour permettre aux utilisateurs de se repérer, nous avons créé un plan tactile qui permet de se repérer par rapport à son emplacement dans la tribune. Le commentateur va alors décrire de manière précise tout ce qui se passe sur le terrain.

HandiCaPZéro : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce plan tactile que vous proposez ?

Aurore : Oui, nous l'avons réalisé avec la maison d'édition "Mes Mains en Or", qui réalise des livres pour la jeunesse. Lors des matchs, nous avions besoin de nous repérer dans le stade grâce aux noms des tribunes, ce qui n'est pas toujours facile et pratique à retenir. Nous avons donc demandé à la maison d'édition de faire un plan tactile à l'aide des plans du stade. Le plan permet de repérer les tribunes, l'emplacement des audio-descripteurs et le terrain qui est réparti en quatre zones, chacune avec un revêtement tactile différent (points, ligne verticales, lignes horizontales, etc.).

HandiCaPZéro : Quel est votre rôle dans ce dispositif ?

Aurore : Le rôle de l'association est très important car sans nous, une fois sur le parking, les utilisateurs ont du mal à passer la sécurité, récupérer les casques d'audiodescription, se rendre jusqu'à leurs places... Nous les accompagnons dans toutes ces étapes afin de les rassurer et faciliter leur parcours, nous achetons les places en avance et nous nous occupons de toute la logistique.

HandiCaPZéro : Comment se déroule le recrutement d'étudiants et bénévoles pour les matchs au stade Auguste-Delaune ?

Aurore : Au départ, c'est la ville de Reims qui a recruté des étudiants en formation STAPS et des animateurs radio, notamment chez France Bleu et Champagne FM. Ils ont suivi une formation par la FIFA à l'occasion de la Coupe du Monde. Nous avons également poursuivi le recrutement avec des étudiants en kiné. Nous avons parfois recruté des commentateurs ne connaissant pas le football, mais avec l'usage, nous avons constaté qu'il était nécessaire qu'ils aient des connaissances concernant le football, notamment connaître le nom des joueurs, les tactiques, le vocabulaire à employer… Lorsque ce n'est pas le cas, les utilisateurs sont mécontents. On préfère donc recruter des personnes qui connaissent un minimum le football.

HandiCaPZéro : Comment se déroule la formation des audio-descripteurs ?

Aurore : Ce sont les premiers audio-descripteurs qui ont été formés par la FIFA qui forment à leurs tours les nouveaux. La formation est plutôt en deux parties. Une partie concerne le handicap visuel et l'autre sur l'aspect plus technique lié aux commentaires. Cela dure deux ou trois jours, les participants ont également des entrainements à effectuer où ils s'enregistrent en commentant un extrait de match avant d'avoir les retours et conseils des formateurs.

HandiCaPZéro : Quels sont les résultats de votre collaboration avec le Stade de Reims ? En êtes-vous satisfaits ?

Aurore : Oui ! Nous sommes très satisfaits de l'audiodescription fournie. Concernant le recrutement, on remarque que les étudiants sont très mobiles et quittent souvent la ville, nous nous demandons alors s'il ne faudrait pas plutôt former des Rémois installés dans la ville. Il y a également toujours quelques aspects d'organisation qui peuvent être améliorés comme le fait pour les audio-descripteurs d'avoir des accréditations à l'année ou bien l'organisation en interne dans l'association. Nous aimerions aussi rendre autonomes les utilisateurs, ce qui implique une bonne collaboration avec les stadiers.

HandiCaPZéro : Avez-vous de nouveaux projets en tête avec le Stade de Reims ou des axes d'amélioration ?

Aurore : Oui, on aimerait organiser une action commune avec les joueurs comme aller voir un entraînement ouvert au public ou une séance de Cécifoot par exemple. Cela permettrait de créer du lien entre nos adhérents et le club, mais aussi de renforcer la fidélité.

HandiCaPZéro : Enfin, comment les lecteurs peuvent-ils bénéficier de ce service au stade de Reims ?

Aurore : Les lecteurs peuvent se rapprocher de notre association, nous nous occupons de l'achat des places, de la réservation et la gestion du matériel. Le jour du match, nous les accompagnons du point de rendez-vous jusqu'au match et nous nous occupons de toute la logistique.

Entretien avec Théo Debled, Chief Operating Officer et actionnaire de Touch 2 See.

"On a compris que Touch 2 See était révolutionnaire pour l'utilisateur"

HandiCaPZéro : Pouvez-vous nous présenter rapidement la service Touch 2 See ? (Vision d'accessibilité universelle).

Théo Debled : C'est une solution qui permet de rendre les évènements sportifs accessibles au public malvoyant. On est parti d'un constat simple : aujourd'hui, les solutions présentes pour cette population au stade, malheureusement, ne répondent pas totalement à leurs besoins. En termes de disponibilité, c'est encore quelque chose de très rare. Peu de stades mettent en place de l'audiodescription. D'autres solutions existent, comme la radio sportive. Mais elle ne répond pas à leurs besoins en termes de latence ou de description, qui n'est pas adaptée au public malvoyant.

HandiCaPZéro : Comment est né Touch 2 See ?

Théo Debled : Tout est parti d'une vidéo qu'on a vu sur YouTube, qui a fait plusieurs millions de vues, où l'on voit une personne non voyante dans un stade à Bogota en train de suivre un évènement sportif grâce à son ami, qui lui retransmet le mouvement du ballon et des joueurs par le toucher sur un morceau de carton. On s'est alors dit "ok, il y a un challenge, il y a quelque chose à développer". Il fallait retransmettre un évènement sportif, dans la grande globalité, par le toucher, qui est le sens le plus important pour une personne déficiente visuelle. Leurs doigts, ce sont leurs yeux.

HandiCaPZéro : Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement plus détaillé de Touch 2 See.

Théo Debled : On développe une tablette entièrement automatisée, qui apporte trois informations principales. D'abord, elle retranscrit le mouvement du ballon en temps réel sur un terrain miniature à travers notre tablette. Ensuite, la vibration va retransmettre l'intensité du jeu pour l'utilisateur. Cela varie en fonction du sport, mais pour le football, une vibration particulière correspond à une passe, un autre type de vibration correspond à un tir, un autre à une faute, un but, une sortie de jeu, et ainsi de suite. Enfin, il y a une audiodescription entièrement automatisée, très basique, où l'on apporte juste des informations très succinctes, comme deux voix différentes pour savoir quelle équipe a le ballon, le nom du porteur de balle en temps réel pour l'utilisateur... On lui permet, par des boutons, d'interagir avec la tablette en lui permettant de demander le temps de jeu, le score, en live, à n'importe quel moment d'un match. Notre objectif est de vraiment scalabiliser cette solution, de permettre vraiment à tous les clubs, que ce soit en France, en Europe ou même dans le monde, d'avoir ce produit.

HandiCaPZéro : La mise en place de cette solution était-elle évidente pour vous ?

Théo Debled : Pas du tout, pour être tout à fait honnête, parce qu'aujourd'hui, on est trois co-fondateurs dans le projet et aucun de nous n'est déficient visuel, on ne vit pas le handicap d'une personne déficiente visuelle. Mais par contre, dès qu'on a rencontré le monde de la déficience visuelle en France, ce qu'on fait encore très régulièrement, on a compris que notre produit était révolutionnaire pour l'utilisateur. On apporte une nouvelle façon de vivre un évènement sportif et surtout, on apporte un autre sens pour l'utilisateur pour comprendre un évènement. Une personne déficiente visuelle, comme n'importe qui se rendant dans un stade, son but est de profiter de l'atmosphère et de l'ambiance. Notre objectif est simple : améliorer l'audiodescription grâce à notre travail, tout simplement parce qu'une personne qui audiodécrit est obligée de passer beaucoup de temps à parler des informations spatio-temporelles. Avec une solution comme la nôtre, l'audio descripteur pourrait vraiment se concentrer sur le plus important quand on parle d'audio, c'est-à-dire l'aspect technique du jeu.

HandiCaPZéro : Comment avez-vous eu accès à la data de joueurs ?

Théo Debled : On a commencé notre partenariat avec la LFP en octobre 2022. Pour nous, tout est automatisé parce qu'on fonctionne avec la donnée sportive, qui est collectée dans l'ensemble des matchs de Ligue 1 Uber Eats et de Ligue 2 BKT. C'est la LFP qui est propriétaire de ce contrat avec Stats Perform, le fournisseur de données. On se relie au serveur de Stats Perform, on récupère les coordonnées X/Y des joueurs et du ballon, ainsi que d'autres datas un peu plus précises, et grâce à notre partenariat avec Orange, pour la 5G et la latence, on retransmet le mouvement du ballon et tout ce que j'ai pu vous expliquer en information, avec 0,4 secondes de latence. On rend alors l'évènement sportif accessible et surtout en live pour l'utilisateur.

HandiCaPZéro : Avez-vous rencontré des difficultés à mettre en place votre projet ? ou à convaincre les clubs partenaires de vous installer chez eux ?

Nous sommes sur une phase d'expérimentation et il n'y a eu aucune difficulté. La LFP nous a directement donné tous les accès possibles pour pouvoir travailler avec Stats Perform. Maintenant, notre objectif va être de discuter avec la LFP pour voir si on peut partir sur un réel partenariat, savoir si on va pouvoir continuer sur une période de commercialisation et non plus d'expérimentation. Avec les clubs, ça se passe super bien. On expérimente la solution et si les clubs sont satisfaits, ensuite on part sur quelque chose de contractualisé, mais les retours sont très bons et pour le moment, nous n'avons pas eu de blocage.

HandiCaPZéro : Est-ce que les premiers essais ont été concluant ?

Théo Debled : On a pu mettre en place notre solution trois fois à l'Orange Vélodrome et une fois au Stadium de Toulouse. Nous étions récemment au match France-Grèce, au Stade de France, avec la FFF, pour expérimenter notre solution. On le fera très prochainement aussi à Geoffroy Guichard et au Groupama Stadium. On échange beaucoup avec l'OL, qui veut absolument tester notre solution dans un premier temps et voir ensuite pour l'implanter directement. Mais oui, les premiers résultats ont été très concluants. Ça fait depuis février qu'on a pu faire des expérimentations en stade avec nos prototypes fonctionnels. Maintenant, nous avons notre produit quasi final, développé par un grand centre de recherche en France (le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives). Et ce produit-là, il va encore être expérimenté. Les retours sont toujours très bons, après, l'objectif, c'est aussi de faire de plus en plus de tests pour avoir les retours utilisateurs et s'assurer qu'on répondra vraiment à leurs besoins. Mais on peut dire qu'aujourd'hui, ce qui fait vraiment la force de Touch2See, c'est qu'on a vraiment travaillé en open innovation depuis le début, que ce soit avec le monde de la déficience visuelle, de l'audiodescription ou encore du sport, pour s'assurer que notre solution soit la plus facilement duplicable en stade. Aujourd'hui, on sait qu'elle répond aux besoins de tout le monde, c'est pour ça qu'on est assez confiants.

HandiCaPZéro : avez-vous l'ambition, à terme, de vous installer dans tous les stades de Ligue 1 Uber Eats et de Ligue 2 BKT ?

Théo Debled : C'est l'objectif, dans le meilleur des mondes. Ça dépasse le football, mais on a eu une validation de Paris 2024 pour installer la solution sur le football, le rugby, le handball, le basket, le tennis et le volley sur la partie olympique, et sur la partie paralympique, le goalball, le rugby, le basket, le tennis fauteuil et la boccia aussi. Avec le football, ça fait quelque temps qu'on échange et on espère pouvoir maintenant commercialiser les choses prochainement. Notre objectif, c'est de s'assurer que le produit répond aux besoins de tout le monde. On espère lancer l'industrialisation et une grosse partie de la production en fin d'année pour qu'en début d'année 2024 ce soit potentiellement mis en place ensuite chez nos clients. Ensuite, le mieux serait que dès l'année 2024-2025, on puisse être au maximum sur tous les stades de Ligue 1 Uber Eats et de Ligue 2 BKT.

HandiCaPZéro : D'un point de vue plus global, quelles sont vos perspectives d'évolution dans le sport ?

Théo Debled : Notre ambition est d'être inclusif et accessible au maximum. Au début, on avait identifié tous les sports à balle, parce que vu qu'on fait vivre un mouvement d'un objet sur la tablette. Le sport à balle est le plus simple pour le faire, ça nous permet quand même de toucher beaucoup de sports. Là, on travaille aussi avec la FFR pour expérimenter la solution sur les matchs préparatoires de la Coupe du Monde 2023, et ensuite sur le Tournoi des Six Nations 2024 pour le mettre en place. Paris 2024, ce n'est pas une fin en soi, c'est bien évidemment un évènement incroyable pour nous en termes d'image et aussi de perspectives de développement technique. Ça nous force à travailler plutôt rapidement sur des sports où on aurait pu se dire "ok, on verra ça dans 2-3 ans". Ensuite, on aspire à dupliquer la solution en France et en Europe. On a commencé à échanger un petit peu avec la Premier League et avec la Bundesliga. Il y a quelques semaines, j'étais à Madrid pour parler avec une grosse association de déficience visuelle en Espagne qui s'appelle la Once et qui a un lien avec la Liga. Nous voulons vraiment permettre au public malvoyant et non voyant au niveau mondial de vivre l'évènement sportif de manière totalement indépendante avec un produit où il n'y a pas d'activité humaine.