édito de Christian Prudhomme, directeur du Tour de France

Visites au panthéon.

Les images dégagent parfois une puissance dépassant la portée de l'événement qu'elles saisissent. Je suis pour ma part transporté dans le registre de la poésie autant que de la fresque historique devant le point rageur de Mohamed Ali qui, en à peine deux minutes, vient d'allonger pour le compte Sonny Liston en 1965 ; le sourire de Pelé porté par son coéquipier Jairzinho après avoir marqué le premier but de la finale de la Coupe du monde 1970 ; la tension entre les McLaren aux couleurs rouge et blanche d'Alain Prost et Ayrton Senna côte à côte au plus haut de leur rivalité lors du Grand Prix du Japon en 1989 ; la démonstration aérienne d'Usain Bolt explosant son record du monde du 100 m en même temps qu'il se rue en solitaire sur le titre olympique en jeu à Pékin en 2008… en compagnie de quelques autres clichés d'exception. Dans ce panthéon photographique personnel, le duel entre Jacques Anquetil et Raymond Poulidor sur les pentes du puy de Dôme en 1964 occupe une place privilégiée, l'admiration pour les deux champions se superposant à la magie du lieu. Pour beaucoup d'amoureux du Tour de France, y compris certains nés au XXI ème siècle, l'image symbolise à elle seule toute l'histoire de l'épreuve. Le retour des coureurs dans des conditions exceptionnelles sur les flancs du jeune volcan endormi, 35 ans après la dernière visite du peloton, voilà donc un hommage à la légende, sur "l'un des sommets où le sport cycliste a planté son drapeau" comme l'écrivait Jacques Goddet, directeur du Tour de France de 1937 à 1988.

Le rendez-vous fixé sur les hauteurs de Clermont-Ferrand trouve aussi sa place par le dialogue engagé avec les "bébés légendes".

L'émotion des retrouvailles avec le géant auvergnat sera accompagnée d'une explication de haut vol entre les favoris pour le titre. Mais le rendez-vous fixé sur les hauteurs de Clermont-Ferrand trouve aussi sa place sur la carte du Tour 2023 par le dialogue engagé avec les "bébés légendes" où des débats tout aussi vifs sont appelés à se jouer au présent et au futur. Ainsi peut-on considérer que le Grand Colombier, où une arrivée sera jugée pour la deuxième fois, poursuit sa percée parmi les sites de prestige du Tour, un club dans lequel le col de la Loze a fait une entrée fracassante en 2020 et où les cadors basculeront l'été prochain avant de compter les points sur l'altiport de Courchevel. Du haut de ses 120 ans, qui seront précisément fêtés le jour de l'ouverture des débats au Pays basque du côté de Bilbao, le Tour s'autorise le grand écart car la souplesse est inscrite dans ses gènes : les reliefs choisis pour le séjour pyrénéen s'adressent à la "génération baston" qui éblouit les fans de vélo depuis quelques années, mais la traversée du Sud-Ouest porte aussi la marque du souvenir de Luis Ocana et un chaleureux clin d'œil à André Darrigade. De même, si la portion réduite de chrono et le passage par les cinq massifs montagneux de l'Hexagone annonce un parcours de grimpeurs, les sprinteurs auront aussi leur compte de sensations avec entre autres une arrivée à Bordeaux, l'autre capitale du sprint, un final sur le circuit automobile de Nogaro, ou encore l'une des plus longues lignes droites finales de l'histoire à Poligny, et bien entendu l'écrin magistral des Champs-Élysées où nous célébrerons les héros de juillet.