interview de Christian Prudhomme
Cette 108ème édition célèbre 25 ans du partenariat avec Handicapzéro ! Quand vous avez pris la direction du Tour de France vous avez maintenu ce dispositif, pouvez-vous revenir sur ce choix ?
Le Tour de France n'est pas seulement la plus grande compétition cycliste au monde. Le Tour doit être utile. C'est presque un bien public, un événement qui appartient à tous ceux qui l'aiment. Nous devons faire en sorte qu'il soit accessible au plus grand nombre, y compris aux personnes aveugles et malvoyantes. Pour cela, le livre de route du Tour en braille, en audio et en caractères agrandis est une idée formidable. Toutes les informations relatives à la course, au parcours, aux cols empruntés, aux villes-étapes visitées se trouvent dans cette édition. C'est un incontournable des suiveurs du Tour. Pour rendre la Grande Boucle plus inclusive aux personnes déficientes visuelles, il fallait commencer par là et maintenir cette initiative. C'est indispensable.
Chaque année, le livre de route est diffusé auprès de plus de 5 000 passionnés aveugles et malvoyantes. Qu'auriez-vous envie de partager avec ce public pour cette édition anniversaire ?
J'aimerais leur partager un souvenir marquant. Sur une précédente édition du Critérium du Dauphiné, j'ai découvert Didier Maneval, ancien adjoint aux sports du Chambon-sur-Lignon et cycliste aveugle passionné. C'était une rencontre tout à fait étonnante. Il savait qui était en face de lui sans échanger un seul mot. A peine lui avais-je serré la main qu'il me lançait "Bonjour Christian !". Tout passait par le toucher. Sa cécité est loin d'être un frein à sa passion pour le cyclisme. Rendez-vous compte, en 2018, il a accueilli sur son tandem le quintuple vainqueur du Tour de France, Bernard Hinault. Les plus chanceux peuvent dire qu'ils ont roulé aux côtés du "Blaireau", il est peut-être le seul à avoir vraiment roulé avec lui. C'est après cette rencontre que nous avons décidé, avec Handicapzéro, d'étendre la production des livres de route adaptés à la grande répétition du Tour qu'est le Critérium du Dauphiné.
Parlons à présent du parcours de cette édition 2021, chacun sait que le Tour de France peut se perdre tous les jours, mais lors de quelles étapes se gagnera-t-il ?
Ce parcours a d'abord la spécificité de ne pas avoir été prévu comme tel. Nous devions partir de Copenhague avant que la pandémie ne bouleverse les calendriers, pas seulement sportifs, nous avons sollicité la Bretagne qui devait accueillir le Grand Départ 2022 pour qu'elle l'organise dès 2021. Elle a accepté et nous lui en sommes très reconnaissants. Après une 1ère semaine redessinée depuis l'Ouest, le Tour 2021 se raccroche au parcours initial le vendredi, lors de l'étape arrivant au Creusot, peu avant le Signal d'Uchon : une difficulté inédite et très raide. Avant cela, nous nous élançons de Brest avec 2 étapes consécutives pour puncheurs, convaincus par le spectacle exceptionnel que peut nous offrir la génération actuelle : Wout Van Aert, Mathieu Van der Poel et le champion du monde Julian Alaphillippe. Après une étape marathon menant au Creusot, la plus longue depuis 20 ans et à la manière d'un Liège-Bastogne-Liège, nous arriverons dans les Alpes. Je crois et j'espère que la 1ère semaine du Tour aura beaucoup plus d'influence qu'elle n'en a eu ces 20 dernières années. En montagne, nous aurons moins d'arrivées en altitude que les années précédentes pour qu'il reste un petit bout de route à parcourir aux leaders qui attaquent dans les derniers hectomètres des cols. Après un gros week-end dans les Alpes, les coureurs affronteront pour la 1ère fois une double ascension du Mont Ventoux. Les 3 versants du Géant de Provence seront visités, en montée ou en descente, avant de redescendre sur Malaucène. Nous sommes ensuite près de 5 jours dans les Pyrénées avec 2 arrivées au sommet. Après avoir gravi le Port d'Envalira, le toit de ce Tour de France 2021 à 2 408 mètres, nous arriverons en Andorre pour attaquer la dernière semaine du Tour. Le 14 juillet, jour de fête nationale, il nous fallait une arrivée emblématique : le col du Portet, découvert en 2018 et sans doute le col le plus dur des Pyrénées, culminant 100 mètres plus haut que son emblématique voisin col du Tourmalet. Les champions escaladeront ce dernier le lendemain pour terminer ensuite dans la station de Luz Ardiden. Enfin, ce Tour de France 2021 possède au total 58 kilomètres de contre-la-montre, bien plus que les années précédentes : entre Laval et Changé le 5ème jour, puis entre les vignes de Libourne à Saint-Émilion, la veille de l'arrivée sur les Champs-Élysées. Nous avions vécu, l'an dernier, un final renversant sur les pentes de La Planches des Belles Filles dans l'exercice chronométré. Cette année, le parcours de ce dernier contre-la-montre est plat mais, après 3 semaines de course, cela reste l'épreuve de vérité.
Gagner le Tour de France, le Slovène Tadej Pogacar l'a déjà fait et tentera de le faire une deuxième fois. Quels sont les autres favoris qui pourront lui contester le doublé ? Que pouvons-nous attendre des coureurs français ?
Qui aurait imaginé qu'en 2020, nous aurions un vainqueur plus jeune qu'en 2019. Cette année-là, Egan Bernal est le plus jeune vainqueur depuis 1947. Un an plus tard, Tadej Pogacar devient le plus jeune vainqueur depuis 1904. Et si cette année, nous avions, avec une victoire de Geraint Thomas, le plus vieux vainqueur depuis 1922 et Firmin Lambot ? Nous n'en savons rien. Il est en revanche certain que nous aurons un affrontement d'armadas entre Ineos Grenadier, qui n'a pas l'habitude de perdre et qui aura sans aucun doute fomenté sa revanche, et Jumbo Visma, dont on imaginait qu'ils allaient gagner l'an dernier, avant peut-être de pécher par excès de confiance. A côté, il y a Tadej Pogacar qui est absolument phénoménal et d'autres encore. Comme je le disais, j'espère que la 1ère semaine aura une influence sur le classement général final. Je le dis aussi parce que notre meilleure chance française est Julian Alaphilippe. Il a annoncé qu'il n'ira pas aux Jeux Olympiques alors on peut croire qu'il donnera toutes ses forces pour le Tour de France. Il restera lui-même quoi qu'il en soit : il attaque, il attaque et il attaque encore ! Il n'est pas quelqu'un qui s'économise et c'est pourquoi le public l'aime. Cela fait d'ailleurs précisément sa force puisqu'il attaque là où on l'attend, mais aussi là où on ne l'attend pas. J'espère donc que Julian Alaphilippe trouvera dans la 1ère semaine du Tour de France un terrain favorable à ses initiatives et des alliés de circonstance comme Mathieu Van der Poel. Cela pourrait lui permettre d'éloigner des adversaires plus forts que lui en montagne. Guillaume Martin continue lui d'être constant au plus haut niveau. Il ne lui avait pas manqué grand-chose l'an dernier pour accrocher les tout meilleurs. Je pense aussi à David Gaud qui part de chez lui. Il connaît donc parfaitement les arrivées des premières étapes et sera co-leader dans son équipe avec, dans un registre différent, Arnaud Démare. Avec ce que David Gaudu a fait sur la dernière Vuelta ou sur Liège-Bastogne-Liège cette année, il confirme toutes ses qualités et nourrit nos espoirs. Sur ce Tour de France 2021, je pense que le moral acquis et la dynamique lancée lors de la 1ère semaine auront un rôle essentiel. Il faudra savoir saisir sa chance !