l'édito de Christian Prudhomme
Terrains à bâtir
Nous ne sommes pas surpris de nous reconnaître dans le propos d'Anatole France qui intimait à ses contemporains : "Ne perdons rien du passé. Ce n'est qu'avec le passé qu'on fait l'avenir". Le Tour de France a épousé l'histoire de son pays jusqu'à en devenir l'un de ses personnages : respecté comme un ancien dont on invoque la mémoire tout en portant l'espoir d'un avenir radieux. Les amateurs de cyclisme se souviennent que l'été 1978 avait vu la première victoire de Bernard Hinault, l'année de sa première participation à la Grande Boucle. Parions que le menu que nous avons concocté quarante ans plus tard aurait parfaitement enthousiasmé le Blaireau... et pas seulement parce qu'il propose un long séjour au pays de la galette-saucisse ! Le parcours du Tour 2018 défend tout simplement, avec ses innovations, une conception de l'ambition et de la modernité dont Hinault était le dépositaire sur son vélo.
Si le terrain conditionne l'action, c'est surtout la variété des étapes qui déclenche les mouvements et ouvre des perspectives aux attaquants. Ce parti pris nous invite à oser comme le feront les coureurs les plus entreprenants sur le Tour. Un manque de vigilance des favoris pourrait leur être fatal dès les premiers jours en plaine : sous l'influence du vent, dans la traversée des monts d'Arrée ou dans l'ascension de la côte de Mûr de Bretagne qui sera gravie deux fois. Les nouvelles bonifications offertes dans le final pimenteront les étapes de la première semaine. Des rebondissements sont aussi à prévoir sur la vingtaine de kilomètres de pavés — un record depuis plus de 30 ans—que les coureurs devront affronter avant d'atteindre Roubaix. Et en montagne, les occasions de surprendre seront elles aussi nombreuses : en montant pour la première fois au plateau des Glières sur une voie en partie non bitumée ; en découvrant le col du Pré sur la route de la station de la Rosière ; en exploitant les 65 kilomètres de l'étape en ligne la plus courte de l'histoire récente et qui arrivera à l'inédit Col du Portet, un "Tourmalet bis" à 2 215 mètres d'altitude ; voire en bousculant la hiérarchie sur le chrono pour grimpeurs qui clôturera les débats au Pays basque.
Sur le Tour, le succès peut jaillir là où on ne l'attend pas. La carte de l'édition 2018 pourrait être jalonnée de geysers...
Christian Prudhomme.
Directeur du Tour de France.