interview de Jean-Marie Leblanc

Handicapzéro : Le Tour de France fête son centenaire. Vous qui avez participé à cette épreuve et qui êtes aujourd'hui son Directeur, qu'est-ce que cela vous inspire ?

Jean-Marie Leblanc : Cela m'inspire plusieurs choses. Tout d'abord, il n'y a pas beaucoup d'évènements qui sont amenés à célébrer un centenaire. Cent ans c'est tellement énorme que j'ai l'impression que les gens partagent cette admiration devant la longévité de cet événement. Ceci explique un intérêt du public démultiplié par rapport aux éditions précédentes.
A titre personnel cela m'inspire de l'admiration, du respect et surtout beaucoup de responsabilités. Il faudra que nous soyons tous à la hauteur de ce centenaire. Etre à la hauteur c'est prendre en compte non seulement les aspects commémoratifs de l'événement, mais aussi se tourner vers l'avenir en réfléchissant aux moyens de conserver au Tour sa popularité et sa prospérité.
Mon équipe et moi-même prenons ce centenaire comme une chance et une mission.

Handicapzéro : Qu'est-ce qui explique selon vous la longévité du Tour de France ?

Jean-Marie Leblanc : Le Tour est à juste titre considéré comme l'évènement cycliste numéro un. S'il est plus populaire et plus médiatique que tous les autres, c'est certainement dû à son ancienneté. C'est la première compétition cycliste du XXème siècle. C'est donc sur le Tour que sont venus le plus tôt les grands champions. C'est également sur le Tour que ces champions ont réalisé les premiers grands exploits. Ces exploits ont donc fait grandir la popularité de cette épreuve.
D'autre part, le Tour a la chance de se dérouler en juillet et a bénéficié de la mise en place des congés payés en 1936. C'est une période estivale qui favorise la présence de beaucoup de monde sur le parcours. 
Enfin, je crois que la France est un pays idéal pour la pratique du cyclisme.
Tous ces éléments font que depuis longtemps c'est dans cette épreuve que les grands champions ont réalisé les plus grands exploits.
 
Handicapzéro : Comment l'idée du Tour de France cycliste est-elle née ?
 
Jean-Marie Leblanc : Cette idée est née de circonstances économiques. En effet, il existait en 1902 deux journaux sportifs, le Vélo et l'Auto-Vélo qui deviendra par la suite l'Auto. Les deux patrons de ces journaux, Henri Desgranges pour l'Auto et Gifard pour le Vélo, se détestaient. Le Vélo organisait déjà des épreuves telles que Paris-Brest, Paris-Roubaix etc. L'Auto n'organisait aucune compétition et vendait donc moins de journaux. Pour relancer les ventes Henri Desgranges imagina après un déjeuner de travail avec Joe Lefebvre, chef de la rubrique cycliste, de créer un Tour de France Cycliste. Cette initiative fut un succès, puisque quelques années plus tard l'Auto a décuplé ses ventes grâce au Tour de France et a provoqué la disparition du Vélo.
 
Handicapzéro : Pouvez-vous nous parler des grandes manifestations prévues pour le centenaire ?
 
Jean-Marie Leblanc : Comme en 1903, nous avons décidé de partir de Paris en passant ensuite par Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse et Nantes en revenant à Paris. Dans chacune de ces villes nous organiserons des opérations pour les jeunes avec le concours de Laurent Jalabert et de la Fédération Française de Cyclisme. Il s'agira de montrer ce qu'est le sport cycliste aux jeunes des cités. 
Le départ du Tour 2003 sera donné dans des conditions grandioses puisque les équipes seront présentées sur le parvis de l'Hôtel de Ville et que le prologue aura lieu aux pieds de la Tour Eifel avec une arrivée à l'Ecole Militaire. D'autre part, le rassemblement pour la première étape se fera sur le parvis du Stade de France. Après un défilé de 28 Km, nous nous arrêterons à Montgeron d'où est parti la première étape du Tour 1903. Puis nous partirons, comme en 1903, devant l'auberge du Réveil Matin.
Pendant le déroulement de l'épreuve nous allons mettre en place la caravane du centenaire. Elle se compose de dix véhicules décorés de jaune symbolisant les dix décennies du Tour de France. Sur chaque véhicule figurera le portrait du coureur le plus représentatif de l'époque, le média le plus représentatif, la musique et la mode de la décennie.
Lors de l'arrivée à Paris, nous organiserons une randonnée ouverte à tous sur le circuit de 30 Km emprunté par les coureurs dans Paris. Tous les participants recevront un maillot jaune rétro.
Enfin, après l'arrivée sur les champs, vous pourrez assister à une grande parade composée d'une dizaine de tableaux historiques.
 
Handicapzéro : Y aura-t-il d'autres clins d'œil au premier Tour de France ?
 
Jean-Marie Leblanc : Le premier juillet nous dévoilerons à Montgeron une plaque commémorative en présence des diverses autorités.
Le 6 juillet à Montgeron nous inviterons tous les anciens coureurs français qui ont porté un maillot sur le Tour ainsi que ceux qui sont montés sur le podium. Ce sont ces coureurs qui ont construit la légende du Tour de France. Tous les vainqueurs du Tour seront invités à Paris lors de l'arrivée.
 
Handicapzéro : Y aura-t-il des innovations sportives sur le Tour 2003 ?
 
Jean-Marie Leblanc : Non, sur le plan sportif nous avons voulu que ce soit un Tour classique. C'est au Tour de la compétition sportive qu'il y aura des célébrations.
 
Handicapzéro : Vous êtes le patron du Tour de France depuis 1988. Y a-t-il quelque chose que vous auriez aimé faire et que vous n'avez jamais fait ?
 
Jean-Marie Leblanc : J'aurais aimé revenir une fois tous les quatre ans à une compétition regroupant les équipes nationales. Bien que cette idée soit séduisante intellectuellement et affectivement, elle est irréalisable dans le contexte actuel.
 
Handicapzéro : Quelle est l'histoire du maillot jaune ?
 
Jean-Marie Leblanc : C'est au cours du Tour de France 1919 que Henri Desgranges a eu l'idée de trouver un maillot distinctif pour reconnaître le leader. Il a choisi le jaune car c'était la couleur du papier sur lequel était imprimé son journal. Le premier détenteur du maillot jaune fut Eugène Christophe qui n'a jamais remporté l'épreuve.
 
Handicapzéro : On dit souvent que le cyclisme est un sport populaire mais à y regarder de plus prêt, on s'aperçoit que le Tour fédère toutes les catégories sociales. Qu'en pensez-vous ?
 
Jean-Marie Leblanc : Le terme "populaire" doit ici être pris au sens global car on trouve tous les types de publics dans les spectateurs du Tour : des femmes, des hommes, des jeunes, des anciens, des cadres supérieurs, des agriculteurs, des ouvriers, etc. Tout le monde a de l'affection pour cette épreuve. Le sport cycliste n'est pas un sport élitiste, bien au contraire c'est un sport populaire.
Ce qui me réjouit le plus c'est que cet événement est totalement gratuit. C'est certainement une des raisons de sa popularité. Les gens sont contents que les plus grandes vedettes de ce sport viennent à eux gratuitement. Il me semble qu'un français sur deux a vu passer au moins une fois le Tour de France.
 
Handicapzéro : Depuis 1985 aucun coureur français n'a remporté le tour. Pourtant son attrait ne se dément pas. Quel en est le secret ?
 
Jean-Marie Leblanc : La popularité du Tour de France est telle que même quand il n'y a pas de vainqueur français, le Tour de France rassemble entre quinze et dix-huit millions de personnes sur les routes. Ce ne sont pas les champions qui font la grandeur du tour, c'est le Tour comme événement historique, social, populaire et médiatique qui fait la réputation des coureurs. Les gens viennent voir le Tour de France pour ce qu'il est.
 
Handicapzéro : Après l'interruption due à la seconde guerre mondiale, quels ont été les hommes qui ont relancé le Tour de France ?
 
Jean-Marie Leblanc : Après la seconde guerre mondiale, le Tour de France a pu être relancé grâce à l'association de deux journaux : l'Equipe, héritier du journal l'Auto, et le Parisien Libéré avec à sa tête Emilien Amory. Ces deux groupes de presse ont ensuite fusionné. 
Vous observerez qu'aussi bien en 1903 à la naissance du tour, qu'en 1947, c'est un journal, donc une société privée, qui a relancé l'épreuve. Le cyclisme a ceci de particulier que depuis sa naissance il est privé.
 
Handicapzéro : Pour le centenaire, Handicapzéro a décidé de mettre en oeuvre davantage de moyens pour rendre encore plus accessible aux personnes déficientes visuelles l'information sur cet événement. Qu'en pensez-vous ?
 
Jean-Marie Leblanc : Je trouve votre initiative formidable. Cela permet à une population qui serait partiellement écartée de l'actualité sportive, de bénéficier d'une information identique aux autres. C'est une bonne utilisation des moyens de communication modernes adaptés à cette population. Cela nous réjouit.