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visites immersives et sensorielles

Laurence Claeysen, une guide bénévole, propose des visites patrimoniales de Dunkerque aux déficients visuels. Une expérience qui répond à une demande croissante.

Devant le massif hôtel de ville de Dunkerque (Nord), la guide Laurence Claeysen n'est pas avare de détails. Elle décrit avec précision l'édifice de style néoflamand : l'alternance de briques rouges et de pierre blanche destinées aux soubassements, corniches et encadrements de fenêtres, les statues des grands hommes au premier étage, celle de Louis XIV au centre, sous une marquise en demi-cercle, le balcon d'honneur… "Si j'ai bien compris, le balcon se situe au-dessus de la porte d'entrée monumentale ?" interrompt l'un de ses interlocuteurs, lunettes de soleil sur les yeux. "Oui, c'est bien ça. Nous allons nous approcher. Je peux te prendre la main ?" Après quelques pas, la première guide doucement les doigts du second sur les soubassements en forme de bourrelets du bâtiment, ainsi que sur les "D" entrelacés de la porte d'entrée.

Déficient visuel, Nicolas Williart participait à une visite guidée de la cité du corsaire Jean Bart. Atteint d'une rétinite pigmentaire qui lui a fait perdre la vue progressivement, il s'est installé ici il y a six mois. Afin de découvrir le patrimoine et l'histoire de son nouveau port d'attache avec son épouse Karine, voyante, et son chien, Saïko, il a pris contact avec Laurence Claeysen. Depuis cinq ans, cette greeter, une guide bénévole qui fait découvrir sa ville à la demande, propose une visite adaptée aux malvoyants.

Le programme ne diffère pas vraiment d'une visite "classique" : hôtel de ville, beffrois, église Saint-Éloi, statue de Jean Bart, bateaux patrimoniaux… "J'évite seulement de monter en haut du beffroi, car l'escalier est très étroit et le point de vue pour un non-voyant forcément moins intéressant". Mais la quinquagénaire a passé des heures à sillonner à nouveau la ville afin d'identifier les éléments pertinents à faire découvrir à ce nouveau public. "Il faut plus décrire que montrer : les formes, les couleurs, les dimensions, même les alentours… Tout en adaptant mon propos : si le visiteur a connu Dunkerque comme voyant, l'approche sera différente". 

solliciter tous les sens

Le toucher est primordial. Mais comment sentir du bout des doigts une ville ? Laurence invite Nicolas à poser ses mains sur les murs, les sculptures de la façade de l'église, les statues à hauteur d'homme… Les anfractuosités de la pierre ou la largeur des joints entre deux briques peuvent raconter une architecture. Pour ce qui est hors d'atteinte, Laurence sort une astuce de sa besace : une reproduction miniature du beffroi. Les doigts de Nicolas suivent les courbes du cénotaphe, des abat-sons ou autres fenêtres en ogive au fil des explications… "J'utilise également le son", ajoute Laurence en lançant une musique du célèbre carnaval de Dunkerque avant de taquiner son visiteur avec une plume de boa, accessoire indispensable du folklore local. Toucher, ouïe, et même odorat avec le marché aux poissons, la greeter s'est perfectionnée au fil du temps. Reculer pour décrire un bâtiment permet à un aveugle d'appréhender la hauteur via les mètres parcourus à terre.

un modèle encore rare

Au bout de trois heures de découverte, Nicolas semble ravi de l'expérience. "Si nous pouvions avoir ça sur tous nos lieux de vacances, ce serait merveilleux !" Ce qui est loin d'être le cas, déplore celui qui est investi dans la défense des droits des déficients visuels. Certes, les lieux patrimoniaux et culturels ont multiplié les parcours tactiles avec des reproductions d'œuvres ou des maquettes en relief. Certes, les audioguides et audiodescriptions sont très répandus, et des accompagnateurs décrivent parfois les œuvres aux malvoyants au milieu de panneaux en gros caractères, voire en braille… Mais pour arpenter les rues des villes, les visites guidées adaptées restent rares ou adressées à des groupes déjà constitués.
D'où l'intérêt du modèle des greeters : l'absence d'intérêt économique les autorise à accorder beaucoup plus de temps à leur sortie, pour de petits groupes ou des visiteurs individuels. Des guides de la communauté ont déjà organisé des balades adaptées à Paris, au Havre, à Bordeaux, à Lille… L'an dernier, Laurence a initié des confrères de Roubaix, et des Australiens de Brisbane ont aussi pris des renseignements. Ce samedi de février, Linda Ticket venait de moins loin. Cette Belge assistait à la visite afin de reproduire ces bonnes pratiques à Coxyde, en région flamande voisine, "où rien de tel n'existe". Son premier visiteur pourrait bien être… Nicolas Williart.

les recettes du succès

L'art de la description.
Tout ce qui paraît évident pour le voyant ne l'est pas pour le non-voyant, qu'il s'agisse d'un immeuble supposément sans intérêt à côté du monument décrit, ou de l'endroit où passe la route.
Outils accessibles.
Même sans greeter, tout le monde peut aider une personne malvoyante à découvrir le patrimoine en lui faisant toucher éléments d'architecture, statues ou miniatures de monuments.
Petit comité
En général, Laurence Claeysen n'embarque pas plus de trois personnes déficientes visuelles pour prendre le temps de leur faire toucher les éléments. Chaque participant est secondé par un accompagnateur qui lui permet de cheminer en toute sécurité.

source : lepelerin.com