vous êtes ici : accueil >> conso >> actus avec quechoisir.org >>

Rupture de stock - Comment faire face à la pénurie de son médicament

« Nous sommes désolés, ce médicament est indisponible pour le moment. » Un scénario qui se répète dans les officines depuis plusieurs années, mais la situation s’aggrave ces derniers mois. D’après des données de l’Agence du médicament (ANSM), près de 5 000 signalements de ruptures de stock et risques de rupture ont été enregistrés en 2023, soit 30 % de plus qu’en 2022. Loin d’être une spécificité française – nos voisins européens comme ceux d’outre-Atlantique s’en plaignent aussi –, ces difficultés d’approvisionnement sont liées notamment à des problèmes de production des matières premières ou des produits finis, de capacité de production insuffisante ou de soucis de conformité, etc. Toutes les classes de médicaments sont concernées, qu’elles visent les maux du quotidien ou soient d’intérêt vital.

Dans de nombreuses situations, le pharmacien trouve une alternative en fouillant dans ses tiroirs, en commandant la molécule à son grossiste ou directement au laboratoire. Faire le tour des officines ou demander à son pharmacien de vérifier le stock des pharmacies alentour à l’aide de son logiciel permet parfois de trouver la molécule prescrite. En cas de très forte tension ou de rupture totale, le pharmacien, en accord avec le médecin prescripteur, recherchera une alternative. Bien que la prise en charge soit faite au cas par cas, nous vous présentons à travers de quelques exemples concrets ce qui pourrait vous être proposé et des points de vigilance conséquents.

Substitution : les questions à poser

Quel soulagement, votre pharmacien a trouvé une alternative ! Mais cette solution temporaire peut modifier vos habitudes de prise et chambouler les plus âgés. Au moment de la délivrance de ce nouveau médicament, voici quelques questions que vous pouvez lui poser.

  • Y a-t-il un changement important par rapport à mon traitement habituel ?
  • La dose est-elle la même ? Faut-il que je prenne plusieurs comprimés ou un seul ? Dois-je couper le comprimé en deux pour avoir la même dose ?
  • Ce médicament est-il compatible avec mes autres médicaments ?
  • Dois-je changer le moment de prise dans la journée ?
  • Y a-t-il des effets indésirables particuliers auxquels je dois être attentif ? 
  • Dois-je prendre des précautions avec ce traitement (alimentation, exposition au soleil…) ?

Jongler avec les formes

Une des solutions face à la pénurie d’un médicament est d’obtenir des équivalences avec d’autres formes et/ou dosages. Exemple : la flécaïnide (Flécaïne et génériques), indiquée en cas d’arythmie cardiaque, prescrite sous forme libération prolongée (LP) ou immédiate (LI). Elle connaît des ruptures persistantes depuis près de 2 ans, et aucun retour à la normale n’est annoncé. Des recommandations ont donc été émises.

  • Si les formes LP sont disponibles, un remplacement entre ces spécialités est à privilégier. Ainsi, 1 gélule de 150 mg LP par jour sera remplacée par 1 gélule de 50 mg LP et 1 gélule de 100 mg LP, à prendre en une seule fois par jour. 
  • Si ces formes LP sont indisponibles, une forme LI répartie en deux prises par jour sera dispensée. Ainsi, une gélule de 150 mg LP par jour sera remplacée par 1 gélule de 100 mg LI le matin et 1/2 comprimé de 100 mg LI le soir. 

Attention, une forme LP et une forme LI ne doivent jamais être délivrées en même temps, au risque d’entraîner un surdosage. Dans tous les cas, la personne devra bien se faire préciser le nouveau schéma de prise. 

  • Si toutes ces formes sont en rupture, des préparations magistrales seront délivrées à condition d’avoir accès à la matière première. La posologie sera la suivante : 1 gélule de 75 mg le matin et 1 gélule de 75 mg le soir. Le pharmacien peut aussi, après discussion avec le cardiologue, proposer de changer de molécule et délivrer du propafénone (Rythmol et génériques). Mais cette substitution nécessite un suivi rapproché ainsi qu’un électrocardiogramme à l’issue de la première semaine de traitement. 

Modifier les règles

Une autre solution consiste à modifier les conditions de délivrance des médicaments. Exemple : le méthylphénidate (Ritaline, Concerta, Quasym et génériques), prescrit en cas de trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou de narcolepsie. Ces spécialités manquent à l’appel dans de nombreux dosages. Pour éviter la panne sèche, l’ANSM a demandé aux médecins, en janvier, de ne plus initier de nouveaux traitements jusqu’à nouvel ordre. En outre, les pharmaciens peuvent délivrer un autre médicament à base de méthylphénidate, le Medikinet. Normalement, ils n’ont pas le droit de faire cette substitution mais, en raison de la pénurie, ils y sont autorisés sans que le patient ait besoin de présenter une nouvelle ordonnance sécurisée. Pour le patient, ce changement permet de conserver le principe actif. Néanmoins, le devenir du Medikinet dans l’organisme est un peu différent. En conséquence, les symptômes pourraient ne pas être totalement contrôlés comme avec le traitement habituel. Pour une bonne absorption, il doit d’ailleurs être pris pendant ou après les repas. Cette alternative ne conviendra pas aux personnes intolérantes au saccharose.

Bricoler et ajuster

Face à cette pénurie de médicaments, les comportements aussi évoluent. Antibiotique de première ligne, l’amoxicilline, seule ou en association avec l’acide clavulanique (Clamoxyl, Augmentin et génériques), est très difficile à trouver, en ville comme à l’hôpital, surtout sous sa forme pédiatrique.

Lorsque celle-ci n’est pas disponible, une forme adulte (comprimé dispersible ou en sachet) peut être délivrée aux petits patients. Attention, elle doit être accompagnée d’une note explicative décrivant les étapes de dilution puisque c’est au parent de la réaliser lui-même à domicile. Une préparation magistrale est également possible.

Pour prévenir les risques d’une rupture totale d’amoxicilline, les experts rappellent qu’il est primordial de prescrire les antibiotiques uniquement lorsqu’ils sont justifiés. Le pharmacien pourra vérifier qu’un test rapide comme un Trod Angine a été réalisé par le médecin. Si ce n’est pas le cas, il pourra le faire à l’officine. Les experts préconisent aussi de raccourcir les durées de traitement à 5 jours pour la plupart des pathologies infectieuses courantes (angines bactériennes, otites, pneumonies…). Dès que cela est possible, les pharmaciens sont également incités à dispenser les antibiotiques à l’unité.

En cas de rupture totale, le pharmacien, en concertation avec le médecin, se reportera vers des antibiotiques de deuxième ligne comme les céphalosporines (céfixime/Oroken ; cefpodoxime/Orelox ; ceftriaxone/Rocéphine) ou, en dernier recours, des macrolides (azithromycine/Azyter, Zythromax ; pristinamycine/Pyostacine). Là encore, il faudra être vigilant avec ces molécules, car elles ne présentent pas le même profil de sécurité que l’amoxicilline. Autre problème : par effet domino, le report sur d’autres molécules peut représenter un risque majeur pour des patients souffrant d’une infection grave.

Troc et fond de tiroir

Ne sachant plus vers qui se tourner pour trouver leur médicament, des personnes épileptiques s’organisent sur des groupes Facebook. Elles sont nombreuses à céder les cachets qui leur restent pour dépanner ceux qui en manquent. Sur des groupes de discussion autour de la parentalité, des demandes de Doliprane ou d’antibiotiques sont émises. Mais utiliser des médicaments, parfois déjà ouverts, dont les conditions de conservation sont inconnues n’est pas une très bonne idée. Leur efficacité a pu diminuer ou ils ont pu être contaminés.

Pénurie - Une cause d’effets secondaires

Les ruptures de stock constituent un contexte propice aux effets indésirables, montre une étude menée par le Réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance (RFCRPV). Celle-ci indique qu’entre 1985 et 2019, plus de 460 cas d’effets indésirables déclarés étaient survenus dans un contexte de pénurie de médicaments, et la moitié d’entre eux étaient jugés comme graves. Dans une seconde étude, réalisée entre janvier 2020 et juin 2021, sur plus 220 signalements, près d’un tiers étaient graves et 9 patients sont morts. Dans la quasi-totalité des cas, le médicament en rupture avait été remplacé par un autre. La majorité des signalements décrivaient des effets indésirables connus. Pour autant, les patients exposés à ces risques n’avaient pas toujours été prévenus. « Ces substitutions ont également induit des erreurs de dosage liées par exemple à un passage d’une forme comprimé à une forme goutte. Le médicament délivré en relais peut aussi présenter des interactions médicamenteuses nouvelles ou plus fortes avec les autres médicaments pris habituellement ou en automédication », décrit la Dr Aurélie Grandvuillemin, du CRPV de Bourgogne, qui a participé à ces travaux.

Médicaments périmés - Je prends ou je ne prends pas ?

Notes

Experte consultée : Aurélie Grandvuillemin, pharmacien hospitalier, Centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Bourgogne.